Chemins de traverse, épisode 1: de beaux ingrédients pour la soupe

Connaissez-vous la recette de la soupe de la vie ? Nicole est une quarantenaire aux grands yeux bleus, débordante d’enthousiasme. Elle a partagé avec moi les « beaux ingrédients » qu’elle a mis dans sa soupe de vie. On sent qu’elle a roulé sa bosse, et qu’elle s’est déjà posée de nombreuses questions sur ses valeurs, ses buts et ambitions. Son parcours de vie professionnelle en témoigne. Depuis 2 mois, cette Lausannoise vit au Burkina auprès de sa famille d’adoption. Voici la recette d’une soupe de vie professionnelle particulièrement savoureuse contée par Nicole.

Elle a commencé sa carrière comme assistante en relations publiques dans une agence de com. «Tous les matins je passais devant l’uni et je me disais : « J’aurais bien envie d’étudier, pour apprendre et faire l’expérience de la vie universitaire». A 23 ans, avec une situation professionnelle stable, elle s’est donc lancée dans des études en sciences sociales. Elle a vendu sa voiture, s’est mise en colocation, a demandé une bourse. « Cette histoire de lâcher, d’aller vers ce qui me porte, ne pas suivre un plan de carrière, je réalise que je l’ai déjà fait… j’avais presque oublié ».

Après ses études, elle part pour son premier voyage au Burkina. « J’en suis revenue toute tourneboulée. D’un côté, j’adorais travailler dans le marketing, la communication, les études de marché. D’un autre côté,  je rêvais de retourner au Burkina. Un ancien collègue m’a proposé de travailler comme product manager chez Nestlé. Et… j’y ai été… J’y ai travaillé pendant 2 ans et demi car cela correspondait à une part de moi ».

J’ai le sentiment d’être partie seule au Burkina et revenue à deux. J’y ai trouvé l’autre part de moi. Je suis revenue complétée. J’ai mis des années à gérer cette dualité… Il y a une Nicole tellement suisse, qui aime le marketing, le « propre en ordre », l’organisation nickel, la vie à occidentale. Et puis, il y a l’autre. Elle s’appelle Alimata, la Nicole d’Afrique. C’est le nom qu’on m’a donné là-bas. Pendant des années, j’ai été déchirée entre ces deux bouts de moi. J’ai toujours cru que ça passerait. Je me trouvais un peu midinette à me laisser tourner la tête et le coeur comme ça par le premier ailleurs venu. Je me disais que c’était ma crise de jeune adulte. Mais ça fait 14 ans, et ça n’a pas passé.»

Cette « double-vie » avec l’Afrique l’a profondément changée.

« Ma vie est d’une richesse incroyable avec ça. J’étais plus suisse que suisse, carrée, exacte qui doit tout comprendre. L’Afrique m’a appris le lâcher prise, laisser vivre, l’art de la débrouille, le «ça va se passer autrement que prévu, et c’est pas grave », « je ne comprends pas tout, et c’est pas grave ». Ils ne baissent pas les bras làbas. J’aime beaucoup leur esprit d’entreprise. Ils ont tout le temps des idées. Ils se sont plantés 150 fois, mais ils recommencent. »

 Elle est retournée en Afrique pour un projet de formation, elle est revenue en Suisse pour des raisons personnelles et là, à nouveau, invitation de la vie.

« Je reçois des invitations magiques… J’ai trouvé un poste dans la gestion de la santé en entreprise. Il y avait de la vente, du business, du contact avec les entreprises et aussi cette question de la santé, qui me passionne depuis toujours. Je voulais être médecin ou n’importe quoi avec une blouse blanche. Mon chemin de vie n’a pas permis que cela se réalise. Un jour ma mère a vu ma nouvelle carte de visite et elle m’a dit : « Mais tu vois, la boucle est bouclée, regarde ton intitulé de poste, tu travailles dans la santé ». J’étais revenue à ça. J’ai mis ça aussi dans la soupe. Je pense que si j’avais été médecin, j’aurais été frustrée. Je pense qu’aujourd’hui mon travail (conseillère en insertion) me correspond mieux. J’ai le contact humain, j’accompagne des gens dans leurs projets. »

 Cette soupe aux beaux ingrédients comme métaphore de nos chemins de vie nous interpelle.

«  Ce qui est important, c’est de voir les ingrédients, les reconnaître, les saisir au fur et à mesure du chemin. Ils le nourrissent. Ce sont de beaux ingrédients pour un projet de vie privé et professionnel. Parfois, il faut aussi savoir mettre ces ingrédients au frigo pour un moment. Des fois, c’est pas le bon moment. Cette métaphore me va très bien, moi qui suis hyper gourmande. »

 Et pour pouvoir reconnaître ces ingrédients, il faut pouvoir écouter son cœur.

« J’ai un parcours peu linéaire. Il y a plusieurs moments où j’ai arrêté de travailler pour faire autre chose qui me tenait à cœur… étudier ou voyager. Comme me disait une amie tessinoise: « Va dove ti porta il cuore ». Cette phrase m’a accompagné ces derniers mois. J’ai envie d’écrire et, quand je serai en Afrique, j’aimerais bien faire un blog pour raconter un peu ce que je vis et partager mes petites histoires. Je vais l’appeler « Mi porta il cuore », parce que je veux affirmer que c’est comme cela que je vis et que je veux vivre. »

 Après ce travail dans le monde de la santé, elle parvient encore une fois à prendre tous ses « ingrédients de vie » et à les combiner de manière inédite.

« Après la santé au travail, nouveau virage, vers la relation d’aide, à laquelle j’aspirais fortement. Je me suis inscrite sur Job Up et une heure plus tard, je reçois une offre pour un emploi en tant que conseillère en insertion. Je ne savais même pas que je voulais faire ça mais ça m’allait comme un gant. Bon, moi je crois très fort que ce qui est juste se passe. J’ai été engagée pour accompagner des personnes atteintes dans leur santé vers un nouveau projet professionnel. Mais je n’avais jamais mené d’entretien de face à face, ce n’était pas mon métier. Je suis vite arrivée à mes limites. Alors, encore une couche sur le gâteau, je me suis formée en approche centrée sur la personne dans la relation d’aide. »

Durant tout ce temps, elle est retournée au Burkina pratiquement chaque année, pour quelques semaines, en vacances, mais finalement, voici comment le déclic s’est fait pour oser se lancer vers cette nouvelle aventure africaine.

Premier élément, la prise de conscience de la fragilité de la vie

«Ces dernières années, il y a eu des décès de gens de mon âge autour de moi. Je travaille aussi au quotidien avec des gens qui ont eu des lésions cérébrales, pour lesquels la vie a basculé du jour au lendemain. La vie est là, mais elle peut tourner, ça je le sais. Mais quand-même, je ne trouvais pas comment vivre là-bas en Afrique d’une manière qui respecte mes valeurs. »

Il manquait un deuxième élément pour avoir le déclic : un poste potentiel – finalement non obtenu – qui l’a motivée à se créer sa propre opportunité.

« Je suis tombée sur une annonce pour un poste à Ouaga. Le poste c’était moi ! J’ai proposé mon dossier, j’ai été sélectionnée jusqu’aux deux derniers dossiers et puis, je n’ai pas eu le poste. Après je me suis dit : « C’est pas grave, je le fais quand même ». Pendant 3 mois, je m’étais projetée pour aller là-bas. Je m’étais posé la question «Est-ce que je suis prête à aller vivre au Burkina ? est-ce que c’est vraiment ça que je veux ? », et chaque fois, la réponse était « Oui ». Alors peu importe, j’avais pas de job, mais m’en trouverai un. La vie peut tourner tellement vite, je ne veux pas attendre.

Pendant 14 ans, je me suis dit, c’est pas le bon moment, mais ce n’est jamais le bon moment, tout cuit comme ça, tombé du ciel. C’est à moi de le créer. Alors j’ai donné l’impulsion : démissionné d’un job qui me comblait pourtant, sous-loué mon appartement, acheté mon billet d’avion, dit au revoir à ceux que j’aime.  C’était pas toujours facile… mais je sentais que c’était juste.»

Ses plans, faire confiance en la vie

« Je vais chercher un job sur place. Je vais vivre de mes quelques économies au début. J’ai des idées, mais de toute façon, ce sera sûrement autre chose qui se présentera que ce à quoi j’ai pensé. J’ai fait l’exercice du worst case. J’ai un passeport suisse, je suis donc citoyenne d’un pays en paix, où on a une bonne sécurité sociale et où j’ai des chances de retrouver du travail avec mon bagage professionnel. Je suis riche de tout ça et de bien plus encore, je peux partir. Aujourd’hui, j’ai plus confiance que peur. »

 Quelques dernières nouvelles en direct de Ouaga

« Dans la vie, il y a des jours sans… Samedi passé était un jour sans pour moi.

Départ en ville : panne d’essence. Rdv à la banque : argent volatilisé de mon compte. Spectacle de danse à 20h30 : ma copine annule à 19h30.

Dans la vie, il y a des anges gardiens aussi : une pompiste qui vient à ma rencontre sourire au lèvres pour m’aider à pousser ma moto; un gardien qui me fait rire pour sécher mes larmes et qui m’aide à relativiser; mes frères qui s’organisent à la dernière minute pour que je puisse quand même assister au spectacle.

Peut-être que ça sert à ça les jours sans : se rappeler qu’on n’est pas seuls pour les affronter.

MERCI à mes anges gardiens 🙂 »

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